En contrepartie d'assouplissements de l'objectif de fin du thermique en 2035, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen a demandé, mi-septembre, aux constructeurs de produire une ou plutôt des voitures électriques légères et bon marché. _ Voilà comment elle pourrait s'y prendre.
«Ursulawagen», la voiture d'Ursula. C'est le surnom que des esprits bruxellois taquins ont attribué au véhicule réclamé, mercredi 10 septembre, dans son dis cours sur l'état de l'Union, par Ursula von der Leyen. «Je pense que l'Europe devrait avoir sa propre voiture électrique, a plaidé la présidente de la Commission. Avec un E pour “environnemen tale”: propre, efficace et légère. Avec un E pour “économique” : à un prix abordable. Avec un E pour “européenne”: construite ici en Europe, grâce à des chaînes d'ap provisionnement européennes. »
Pressée par la plupart des constructeurs d'assouplir l'objectif d'interdiction de vente de véhicules thermiques neufs en 2035, objectif qu'ils jugent irréaliste et mortifère pour une industrie qui compte sur le continent 14millions de salariés, Ursula von der Leyen a consenti, deux jours plus tard, à actionner «le plus tôt possible» la clause de revoyure initialement envisagée en 2026.
Soumise aussi à la pression de plusieurs États, dont l'Allemagne, la présidente de la Commis sion n'aura guère d'autre choix que de lâcher du lest. Mais en échange de compromis, elle tente d'embarquer les industriels longtemps enclins à proposer du haut de gamme massif et généra teur de marges confortables - sur la route d'une mobilité électrique accessible à un plus large public.
La formulation retenue dans son discours est évidem ment trompeuse : il ne L s'agit pas de voir sur gir un seul et unique modèle inondant les routes européennes. «L'idée est plutôt de faire émerger une nouvelle catégorie de vé hicules, avec un cadre ré glementaire propre, indique l'en tourage de Stéphane Séjourné, vice-président de la Commission chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle. De petites citadines légères n'auraient pas forcément besoin de tous les dispo sitifs d'aide à la conduite qu'ont d'autres catégories. » Certains ex perts estiment qu'on pourrait re noncer à certains des équipements imposés depuis un an sur tous les modèles neufs (freinage d'urgence, régulateur de vitesse intelligent, aide au maintien dans la voie, etc.), qui renchérissent le prix des voitures.
Pour baisser la facture, Bruxelles pourrait aussi autoriser les États à appliquer un taux de TVA réduit sur ces petits modèles. Un tel mécanisme fiscal permettrait, sans attendre, de réduire les prix de voitures déjà commerciali sées (la Citroën ë C3 sera bientôt
Bruxelles pourrait autoriser les États à appliquer une TVA réduite sur ces petits modèles.
proposée dans une version à 19 990 €), avant que de nouveaux véhicules ne voient le jour. Les projets en question pourraient le cas échéant bénéftcier, de façon exceptionnelle, de subventions au développement et à la pro duction de la part d'États mem bres, comme cela s'est fait pour l'implantation de méga-usines de batteries, s'ils sont jugés prio ritaires.
Une autre piste, suggérée par le patron de Stellantis Antonio Fi losa, consisterait à attribuer un «supercrédit» carbone aux véhi cules relevant de la nouvelle caté gorie. Les normes antipollution imposent un seuil maximal d'é missions par véhicule, toutes mo torisations confondues. «II s'agi rait d'introduire unepondération dans le calcul de la moyenne, les petites voitures électriques comp tant par exemple pour 1,2 ou 1,3 véhicule», décrypte Bernard Jul lien. En janvier dernier, cet éco nomiste avait signé pour La Fabrique de l'industrie un mani feste pour une voiture légère et abordable, clé d'une électrifica tion du parc automobile et d'une relance de l'industrie euro péenne. Bernard Jullien et ses coauteurs se référaient à l'expé rience japonaise des «kei cars», ces mini-voitures fiscalement avantageuses qui représentent 40% du marché.
L'expert défend aujourd'hui plutôt l'idée d'une voiture «uni verselle», dotée de cinq places «pour pouvoir emmener ses en fants et ceux des voisins à l'école». Une voiture autorisée à emprun ter «autoroutes et voies rapides qui dans le périurbain font sou vent partie du trajet quotidien».
Pareille voiture pourrait-elle vraiment être produite en Eu rope, voire en France? Oui, veut croire cet expert reconnu de la profession, «car produire un vé hicule électrique requiert moins de main-d'œuvre qu'assembler une voiture thermique. Et le ca ractère plus ou moins carboné de l'électricitépeut aussi constituer un atout décisif.» Dans l'entou rage de Stéphane Séjourné, on as sure qu'une telle stratégie «enfin tournée vers le consommateur» ira de pair avec une «protection du marchéface à la concurrence déloyale» et une «préférence eu ropéenne», basée sur des exigen ces de contenu local.
Repères
Les pistes de réforme de l'objectif « zéro émission »
Parmi les pistes envisagées pour modifier l'objectif du 100 % véhicules neufs sans émission en 2035, on trouve : La suppression pure et simple de l'échéance 2035, comme le réclame le Parti populaire européen (PPE), le plus nombreux au Parlement, ou le report de l'objectif ; L'extension de la liste des véhicules autorisés aux hybrides rechargeables, aux range extenders (« petits moteurs thermiques pour recharger ponctuellement la batterie »), et aux voitures fonctionnant avec des biocar burants ou des carburants de synthèse (aujourd'hui quasi inexistants) ; Un assouplissement des règles en fonction des pays ou des catégories de véhicules (en fonction notamment de leur poids).
Paris-Berlin : « Inutile de nous poser en victimes de l'Europe ! »
Directeur général de l'équipementier auto mobile OPmobility, Laurent Favre est aussi président du Club économique franco-allemand (Cefa), qui fête ses 20 ans. Il est plus que jamais nécessaire que ces deux pays rapprochent leurs industries, plaide-t-il, alors que l'Europe peine à imposer sa puissance économique face à la Chine et aux Etats-Unis.
On estime que 5 700 entreprises françaises sont implantées en Allemagne, représentant 400 000 emplois. La réciproque existe : 3 000 entreprises allemandes emploient en France plus de 325 000 personnes, souligne Laurent Favre. Dans l'environnement mon dial actuel, le Club économique franco-allemand (Cefa) prend une importance nouvelle, au service de l'Europe.
Comment se passe cette rentrée pour l'automobile européenne ?
C'est une rentrée pleine d'espoirs car beaucoup de nouveaux modèles, notamment français et allemands, ont été présentés au salon de Munich la semaine dernière. Le sec teur automobile est en phase avec lui-même, constructeurs et équipementiers sont sur la même longueur d'onde. Et il nous semble qu'il y a une prise de conscience à Bruxelles de la nécessité de davantage de tlexibilité face à la réalité de 2025. A savoir que l'adop tion de certaines technologies - le tout élec trique - n'est pas aussi rapide que ce qui est prévu dans les législations qui nous projettent à 2035. Les planètes sont alignées pour que la Commission de Bruxelles, les industriels du secteur et les politiques convergent assez rapidement vers une vision plus souple des législations en place.
Quelle est pour vous la source de pression la plus forte : la concurrence chinoise, les droits de douane américains, ou les normes européennes sur la transition énergétique ?
La concurrence ne pèse pas, elle fait par tie du jeu. Elle nous oblige à nous améliorer, c'est normal. OPmobility est numéro 1 en Chine dans les pièces extérieures de carros serie, c'est donc faisable ! Les tarifs douaniers créent, eux, de la volatilité à court terme. C'est ennuyeux mais à long terme, il est clair qu'on se dirige de toute façon vers une frag mentation des marchés. Entre les Etats-Unis, l'Europe et la Chine, les approches de la tran sition énergétique sont différentes. Cela joue sur les technologies, sur les réglementations, et cela entraîne par définition une régionali sation des marchés qui ne date pas de Donald Trump. Le sujet européen est plus préoccupant car on cumule manque de visibilité à long terme et instabilité à court terme. La régle mentation actuelle nous dit que les véhicules hybrides propres seront interdits en 2035. Du coup l'Europe se laisse dominer par les constructeurs chinois dans ce domaine, alors que nous maîtrisons tout à fait cette technolo gie. OPmobility a des activités de pack batte rie pour les véhicules hybrides mais nous re fusons d'investir en Europe dans ce domaine puisque la réglementation nous indique qu'il n'y a pas de marché à long terme. Bref, l'Europe ne sait pas encore où elle va. A cela s'ajoute l'instabilité à court terme. En France, la hscalité automobile a changé une quinzaine de fois en 5 ans, et elle a aussi beaucoup bougé en Allemagne....
En tant que président du club économique franco-allemand, vous plaidez pour un rapprochement industriel entre ces deux pays. Sous quelle forme et avec quelle finalité ?
Historiquement, des collaborations indus trielles très fortes entre les deux pays ont per mis à l'Europe d'avancer, encore récemment dans les piles à combustible, les véhicules à hydrogène. Pour préparer le monde de de main, il faut les amplifier dans l'IA, la R&D... La France et l'Allemagne mènent parfois des politiques très différentes, c'est le cas dans l'énergie, où nous sommes finalement très complémentaires. Dans ce sens, ces deux pays doivent s'affirmer comme le moteur indus triel de l'Europe. Aux dernières rencontres d'Evian, il y a deux semaines, 20 grandes entreprises françaises et autant d'Allemagne, tous secteurs confondus, ont évoqué un vaste champ de coopérations possibles. Elles sont d'autant plus nécessaires que la Commission de Bruxelles n'a pas tous les pouvoirs sur tous les sujets. En revanche, il faut que le législateur européen nous laisse faire. L'inrpossibilité de créer un champion mondial Alstom-Siemens il y a quelques années reste un gros échec européen. Notre seuie façon de nous en sor tir est d'appréhender l'Europe comme un seul marché. En Chine et aux Etats-Unis, tout est fait pour que l'industrie se développe. Nous devons en faire autant.
La France ne risque-t-elle pas d'être en décalage croissant avec l'Allemagne, dont l'industrie va profiter d'un plan de relance à 1000 milliards d'euros ?
Notre mauvaise santé financière affaiblit certes le poids de la France en Europe et vis-à-vis de l'Allemagne. Mais nous avons d'autres actifs à faire valoir. Nos technologies et nos champions de l'industrie de défense par exemple, que notre voisin nous envie. Dans l'automobile nous insistons beaucoup à Bruxelles sur la notion de contenu européen. Cela pourrait être étendu à d'autres secteurs. Si nous prenons conscience de l'importance du marché européen, il devient incontournable de s'entraider sur le contenu européen de nos productions. On peut évidem ment l'accompagner d'une réglementation, mais avant cela, il faut le promouvoir sur le ter rain. Sur ce sujet aussi, la prise de conscience est en marché. Ce qui est en jeu, c'est la gestion de nos dépendances respectives. Cela passe par un renforcement de l'Europe, les Alle mands l'ont découvert douloureusement dans l'énergie.
Mais un an après la publication du rapport Draghi, l'Europe semble avoir bien peu avancé...
Tout le monde a salué la clairvoyance de ce rapport qui nous positionne par rapport aux autres puissances, et qui décrypte de façon indiscutable nos forces, nos faiblesses et les actions à mettre en œuvre. L'Europe, et cha cun de ses membres, se sont imposés beau coup de normes. Elles nous pénalisent, mais nous en bénéficions dans plusieurs domaines (formation, éducation). Si nous voulons de venir une grande puissance économique ou de défense comme les Etats-Unis ou la Chine, nous devons faire des compromis et avancer. Ce n'est pas perdu, nous pouvons agir. En ce sens je suis positif. Mais je suis inquiet car il ne se passe pas grand-chose. Inutile de nous po ser en victimes de l'Europe, la France et l'Alle magne doivent définir ensemble des priorités et faire avancer la construction européenne.
L'instabilité française est un gros handicap !
Les sujets de défense, d'innovation, d'IA, de réindustrialisation impliquent le temps long et un cadre clair et stable. Le manque de visibilité en France ne doit pas nous em pêcher complètement d'agir, mais c'est évi demment pénalisant pour notre pays et pour l'Europe. A tous les échelons, la stabilité ne peut se trouver que dans le compromis.
Que se passerait-il si l'interdiction des voitures thermiques était repoussée à 2050 ?
Une partie des constructeurs automobiles européens demandent que l'interdiction des voitures thermiques prévue en 2035 soit repoussée à 2050. Mais cette demande ne fait pas l'unanimité dans le secteur. Essayons d'y voir un peu plus clair.
La décision européenne de mettre fin à la vente des voitures thermiques et hybrides en 2035 a été présentée comme un tournant décisif dans la quête d'un air plus pur au-dessus du Vieux Continent (et peut-être dans le reste du monde, mais c'est moins sûr).
Au départ, on trouvait ça plutôt bien. En tout cas positif, un « signal fort » comme disent les professionnels de la politique. Quand on roule en voiture électrique depuis déjà quelques années et que l'on est convaincu que c'est une énergie d'avenir pour les déplacements individuels, le fait qu'une instance de gouvernance fédérant plusieurs états arrive à mettre tout le monde d'accord sur une décision aussi radicale semblait plutôt bienvenu. Puis vient le temps des débats, et celui de la discorde. Et on finit par douter… Au final, l'Union européenne n'y serait-elle pas allée un peu trop fort, ou trop vite, avec cette fameuse interdiction de la vente de voitures thermiques neuves à partir de 2035 ? La suite de votre contenu après cette annonce La suite de votre contenu après cette annonce.
Car depuis quelques mois, une fronde se dessine. Certains constructeurs appellent à repousser l'échéance à 2050, invoquant la difficulté d'adaptation de leur industrie, alors qu'ils ont disposé quand même de près de 15 ans pour la transformer. En face, une coalition inattendue et quelque peu disparate de plus de 150 acteurs de l'électromobilité, qui exhorte au contraire Bruxelles à tenir bon, dans une lettre ouverte adressée la semaine dernière à la Présidente de la Commission Européenne. Selon eux, un recul serait un pas en arrière industriel et stratégique. On notera au passage que, parmi les signataires de cette lettre, il n'y a pas que des sous-traitants, des équipementiers ou des pure players de la recharge ayant fortement investi dans l'électrification, mais aussi des constructeurs automobiles. Il s'agit précisément de Lucid, Volvo et Polestar. Oui, ils ne sont que trois, dont deux Chinois et un Américain… La suite de votre contenu après cette annonce La suite de votre contenu après cette annonce
Si l'on regarde la liste des signataires plus en détail, on y retrouve quasiment l'intégralité des grands noms de la recharge, opérateurs ou fabricants, que nous connaissons bien, à savoir – entre autres – Alpitronic, Allego, Bump, Powerdot, Driveco, Atlante, Fastned, Ionity, Izivia ou encore Electra. D'ailleurs, pour être tout à fait transparents, il y a également Chargemap, notre société sœur, appartenant au même groupe qu'Automobile Propre.
Plus étonnant, on trouve aussi dans ce manifeste les signatures de Uber et… AstraZeneca.
Mais que dit précisément cette lettre ouverte dont on parle beaucoup ?
En substance, les plus de 150 dirigeants de la filière européenne de la mobilité électrique signataires demandent à la Commission Européenne de ne pas reculer sur l'interdiction de la vente des voitures thermiques et hybrides neuves prévue en 2035. Pour eux, cet objectif, acté en 2023, a déjà produit des effets concrets sur l'industrie automobile européenne. Les signataires rappellent qu'il a déclenché des centaines de milliards d'euros d'investissements et permis la création de plus de 150 000 emplois sur le continent. Des investissements qui se sont notamment concrétisés par d'importantes levées de fonds. Pas sûr, par exemple, qu'un Electra aurait pu devenir quasiment une licorne en moins de 5 ans si les investisseurs n'avaient pas été « incentivés » par la perspective obligatoire du tout électrique dans 10 ans. La suite de votre contenu après cette annonce La suite de votre contenu après cette annonce
Ils estiment en outre qu'une reculade minerait la confiance des investisseurs et affaiblirait la compétitivité européenne face à des acteurs déjà très avancés comme la Chine, où la transition vers l'électrique progresse rapidement, et demandent à Bruxelles de renforcer son soutien par un développement massif de la production de batteries sur le sol européen, la sécurisation des matières premières stratégiques, des incitations harmonisées dans tous les États membres pour accélérer l'adoption des voitures électriques, et enfin, un investissement accru dans les réseaux électriques, spécifiquement via des réformes pour faciliter leur modernisation et leur raccordement.
Comme quoi, tout n'est pas aussi simple.
Mais quelles seraient les conséquences réelles — positives et négatives — d'un éventuel recul de l'échéance de 2035 pour les différents acteurs du secteur. Nous ne lisons pas l'avenir dans une boule de cristal, mais tâchons d'y voir un peu plus clair dans ce sujet qui semble se complexifier au fil des mois et des déclarations des différents acteurs.
Les constructeurs face au calendrier
Du côté des constructeurs, il paraît clair que repousser l'échéance à 2050 offrirait un répit confortable. Prolonger la vie des motorisations thermiques permettrait de lisser les investissements, de rentabiliser les modèles existants et de mieux gérer une demande électrique encore fragile sur certains segments. BMW, pourtant engagé avec succès dans l'électrification de sa gamme, souligne que le marché de l'électrique n'a pas encore atteint son rythme de croisière, ce qui fragilise les marges. Mercedes, de son côté, redoute qu'une transition trop brutale fasse plus de mal que de bien à son écosystème industriel.
Un point du vue qui semble malheureusement corroboré par ce rapport de la Cour des Comptes européenne (2024 – article payant), émettant de sérieux doutes sur la faisabilité du passage au tout électrique en 2035 : « La disparition des voitures thermiques suppose en effet, en contrepartie, une adoption massive des véhicules électriques par le grand public. Or, celle-ci apparaît compromise compte tenu du prix à payer par l'industrie et le consommateur » La suite de votre contenu après cette annonce La suite de votre contenu après cette annonce
Mais derrière cette apparente sécurité se cache un risque majeur, qui est celui de briser l'élan déjà engagé. Les constructeurs européens ont investi des centaines de milliards d'euros pour développer des gammes électriques compétitives, et créé plus de 150 000 emplois dans cette filière. Revenir sur la date de 2035 reviendrait à diluer ces efforts et à affaiblir la confiance des investisseurs. Pire, cela donnerait aux concurrents chinois – qui avancent à marche forcée sur l'électrique – l'occasion de creuser l'écart, même s'il existe un point de vue radicalement différent sur le sujet. D'autre part, en dehors des considérations purement économiques, on sait que, généralement, la contrainte stimule l'innovation, un précepte qui est certainement applicable et favorable au contexte de la voiture électrique.
Des fournisseurs entre deux feux et les infrastructures en suspens
Les sous-traitants historiques – ceux qui produisent moteurs thermiques, boîtes de vitesses ou échappements – verraient dans un report une bouffée d'air qui leur donnerait plus de temps pour se transformer, plus de contrats pour leurs pièces, et moins de pression pour basculer vers l'électrique.
Pour la filière batterie, en revanche, un tel glissement ne serait pas vraiment une bonne nouvelle. Des projets de gigafactories en France, en Allemagne ou en Slovaquie pourraient perdre en attractivité si le marché européen ralentissait, alors que le contexte est déjà difficile. Les investissements risqueraient alors de se déplacer vers les États-Unis ou l'Asie, où les perspectives restent claires et soutenues par des politiques incitatives. Et l'Europe, qui cherche justement à bâtir une chaîne d'approvisionnement souveraine pour les matériaux critiques, se retrouverait fragilisée.
Un délai de quinze ans supplémentaires permettrait aux opérateurs d'électricité et aux installateurs de bornes de recharge de mieux étaler leurs investissements. Moins de pression, moins de risques de saturation, plus de temps pour moderniser les réseaux. Sur le papier, la transition serait moins brutale. Mais là encore, l'élan pourrait s'essouffler. Les réseaux intelligents, la recharge bidirectionnelle ou les stations ultra-rapides n'avancent que si le marché des voitures électriques progresse vite. Sans la contrainte de 2035, les déploiements pourraient ralentir, laissant l'Europe dépendre plus longtemps des stations-service classiques. Pendant ce temps, les géants asiatiques de la recharge et du smart grid continueraient de gagner du terrain. C'est un peu l'histoire de l'œuf et de la poule : il faut plus de voitures électriques pour accélérer le déploiement des points de charge, mais il faut plus de points de charge pour développer les ventes de VE… La suite de votre contenu après cette annonce La suite de votre contenu après cette annonce
Et l'emploi dans tout ça ?
Sur le plan social, repousser la date de 2035 prolongerait l'existence de millions d'emplois liés au thermique. Les usines de moteurs, les ateliers de maintenance et les réseaux de concessionnaires continueraient de tourner sans heurts. Les formations auraient davantage de temps pour évoluer en douceur. Mais ce statu quo bloque aussi la création d'emplois nouveaux. Les 150 000 postes déjà générés par l'électromobilité pourraient ne pas être suivis de la vague attendue. Les talents spécialisés dans la batterie ou l'électronique de puissance risqueraient de migrer ailleurs, là où la demande est réelle, soit sur d'autres continents, soit dans d'autres secteurs d'activité. Cependant, le passage au tout électrique nécessiterait certainement des ajustements et des mesures de soutien à l'emploi dans régions et pour les emplois concernés. D'autre part, il subsiste un risque d'inégalités territoriales dans certaines zones ou l'infrastructure électrique est peu développée ou d'un accès plus difficile, et même d'inégalités entre états membres de l'UE.
Environnement et souveraineté en victimes collatérales ?
Enfin, repousser l'échéance reviendrait à maintenir en circulation des millions de voitures polluantes supplémentaires. Les objectifs de neutralité carbone de l'Union européenne seraient d'autant plus difficiles à atteindre. Le Green Deal perdrait en crédibilité, et avec lui la capacité de l'Europe à s'affirmer comme un leader dans la lutte contre le réchauffement climatique, ce qui semble devenu une sorte de mantra obsessionnel chez certains représentants de l'UE.
Il y a aussi un enjeu de souveraineté industrielle. Aujourd'hui, la Chine domine largement la production de batteries et contrôle une grande partie des matières premières. En ralentissant, l'Europe risquerait d'accentuer cette dépendance au lieu de consolider ses propres filières. Comme le souligne la lettre ouverte adressée à Ursula von der Leyen, hésiter maintenant serait « remettre les clés de l'avenir automobile entre les mains des concurrents ».
Cela étant, il existe un autre scénario possible, un choix de l'entre-deux, qui consisterait non pas à repousser l'échéance de 2035 mais à en assouplir les règles. C'est peut-être vers celui-ci que se dirige la Commission sous la pression des constructeurs. Dans cette hypothèse, on pourrait imaginer un élargissement aux hybrides ainsi qu'aux carburants de synthèse, voire même à l'hydrogène dans certains cas spécifiques. Rappelons à ce sujet que le credo des constructeurs et de ne pas remettre en question le Pacte Vert, mais la méthode, autrement dit qu'on fixe un objectif, mais qu'on ne leur impose pas la façon de l'atteindre.
Quoiqu'il en soit, notre mauvais esprit ne peut s'empêcher de voir dans ce bras de fer une sorte de guérilla des lobbies, qui semble bien loin de l'idéal écologique auquel aspire la Commission Européenne. D'un côté les constructeurs qui veulent préserver un peu plus longtemps leur rente thermique, de l'autre les équipementiers qui veulent accélérer l'électrification pour faire grossir leur business… et rentabiliser rapidement leurs énormes investissements.
Entre les deux, les consommateurs, auxquels finalement personne n'a vraiment demandé leur avis.
Automobile: Bosch engage une nouvelle vague de suppressions d'emplois, veut économiser 2,5 Mds d'euros par an
L'équipementier allemand Bosch a annoncé mardi l'élargissement de son plan de restructuration dans l'automobile pour combler un écart de coûts annuel d'environ 2,5 milliards d'euros, notamment par de nouvelles suppressions de postes, face aux difficultés persistantes du secteur en Europe.
Le groupe cite des conditions de marché "encore plus difficiles", des retards dans l'électromobilité et la conduite automatisée ainsi que "des pressions très élevées sur les prix et la concurrence dans l'industrie automobile mondiale", selon un communiqué.
"Tout cela se traduit par un écart de coûts annuel d'environ 2,5 milliards d'euros" dans la division Mobilité, qu'il faut combler "le plus rapidement possible", ajoute Bosch.
La baisse de la demande a conduit a des "surcapacités" et à une réduction de la "demande en personnel", ajoute le groupe, qui présentera "prochainement" des propositions de mesures aux représentants sur personnel.
Le groupe n'a pas précisé où auraient lieu les suppressions de postes mais il vise particulièrement l'Allemagne pour les coûts de sa main d'oeuvre et la faiblesse du marché européen.
Bosch avait annoncé cet été jusqu'à 1.100 suppressions d'emploi supplémentaires d'ici 2029 en Allemagne dans la même division, s'ajoutant aux 7.000 emplois supprimés dans le monde tous secteurs confondus, annoncés l'an dernier.
Le groupe emploie actuellement 418.000 personnes dans le monde.
Pour réduire les coûts, le groupe mise aussi sur des gains de productivité notamment grâce à l'intelligence artificielle.
La division Mobilité devrait croître de "moins de 2%" en 2025, soit "bien en dessous des attentes", indique le communiqué.
Les constructeurs et fournisseurs automobiles en Allemagne subissent la baisse de la demande mondiale, l'augmentation des coûts, la concurrence chinoise et plus récemment la hausse des droits de douane américains.
Le premier constructeur automobile allemand, Yolkswagen, prévoit 35.000 postes en moins en Allemagne contre 5.000 chez le géant des poids-lourds Daimler Truck.
Ford a annoncé lundi jusqu'à 1.000 nouvelles suppressions d'emplois supplémentaires à son usine de Cologne (ouest), qui viennent s'ajouter au plan de suppression de 2.900 emplois déjà annoncé l'an dernier.
Côté équipementiers, Continental, ZF et Schaeffler ont également annoncé des milliers de suppressions de postes ces derniers mois dans le monde.







