Voiture électrique: ne ralentissons pas
Dans les prochaines semaines, la Commission européenne doit se prononcer sur le maintien ou non de l'échéance 2035 pour interdire la vente de voitures neuves à moteur thermique au sein de l'Union. Dans le cadre d'une clause de revoyure pré vue initialement en 2026, finalement avancée de plusieurs mois, la décision qui sera prise doit clarifier les modalités définitives de ce virage industriel majeur. II s'agit d'un pan essentiel du pacte vert européen. Lancé en 2019, il vise à réduire les émissions de C02 pour atteindre la neutralité carbone du continent en 2050. Mais, depuis plusieurs mois, les appels à repousser cette date butoir de 2035 se sont multipliés.
Une grande partie des constructeurs automobiles s'estiment victimes d'une décision « bureaucratique», prise en dehors de tout principe de réalité. En renonçant à la technologie du moteur ther mique, l'Europe fragiliserait son industrie alors que la concur rence chinoise a pris une avance décisive dans la fabrication de vé hicules électriques.
Cette thèse est massivement re layée par les partis politiques de droite en Europe. Ils ont compris que la remise en cause de la tran sition climatique constituait un fonds de commerce électoral très rentable, et poussent la Commis sion à assouplir son calendrier, voire y renoncer. Pourtant, au moment où la concurrence chi noise apparaît dans le rétrovi seur de l'industrie automobile européenne, il serait extrêmement dommageable d'appuyer sur le frein et de se ranger sur le bas-côté. Le délai de grâce de mandé par certains ne ferait qu'accentuer leur retard, précipi ter leur déclin tout en sapant la transition climatique.
La seule chance pour l'industrie automobile européenne de s'en sortir consiste à multiplier les lan cements de petites voitures à un prix abordable. Si ce n'est pas eux qui les vendent, les Chinois s'en chargeront. Ces dernières années, les constructeurs européens ont au contraire privilégié les gros modèles, très rentables. Mais pen dant que les marges bénéflciaires atteignaient des sommets, les vo lumes de vente s'effondraient, les acheteurs potentiels n'ayant plus les moyens de s'offrir une voiture neuve aussi onéreuse. Rentrer dans un cerde vertueux Ces choix stratégiques de court terme ont permis aux dirigeants des constructeurs de toucher de généreuses rémunérations, tout en croyant faire la démonstra tion que le marché de l'électrique n'était pas au rendez-vous. Résu mer le sujet à un problème de de mande est réducteur. La ques tion de l'offre est encore plus fon damentale. En France, le succès récent du leasing social, qui a permis d'écouler en octobre 50 000 véhicules subventionnés montre bien que le principal obs tacle du passage à l'électrique n'est ni la difficulté de la re charge, ni la durée d'autonomie de la batterie, ni un attachement nostalgique à une technologie révolue. C'est le prix ! Respecter l'échéance 2035 reste pour le secteur automobile euro péen le meilleur moyen de parve nir à des prix de revient aborda bles et de rentrer dans un cercle vertueux. Les Chinois ne s'y sont pas pris autrement. Ils sont aujourd'hui capables de produire plusieurs centaines de milliers de véhicules sur une même plate forme, c'est-à-dire une base de fa brication permettant de partager un maximum d'éléments com muns entre plusieurs modèles à un coût ultracompétitif.
Débat d'arrière-garde Des lignes de fracture se dessi nent au sein des Vingt-sept. Dé but octobre, le chancelier alle mand, Friedrich Merz, s'est pro noncé en faveur d'une révision de l'échéance 2035. L'Italie est sur la même ligne. La France (aux côtés de l'Espagne), elle, défend au con traire un maintien du calendrier. Et c'est dans son intérêt. D'abord, l'électrification du parc automobile est un levier essentiel pour renforcer l'autonomie éner gétique du pays. Deux tiers de no tre déficit commercial provien nent de l'importation d'énergies fossiles. Ensuite, l'atteinte des ob jectifs de décarbonation repose sur quatre principaux secteurs : le logement, l'industrie, le trans port et la production d'électricité. Concernant ce levier, le potentiel de la France est limité. Notre pro duction est déjà largement décar bonée en raison de l'importance de la production d'origine nu cléaire. Le logement et l'industrie apporteront leur contribution. Mais la plus grande part viendra du transport. «Si on ne se bat pas sur l'électrification des mobilités routières, la France, qui accuse déjà du retard sur les objectifs de décarbonation à horizon 2030 par rapport à la moyenne de l'UE, ris que de se retrouver parmi les der niers de la classe», avertit Patrick Pélata, président de l'Académie des technologies et ancien direc teur général de Renault.
Pour trouver un consensus parmi les Vingt-sept, l'une des pistes serait d'introduire un as souplissement à l'interdiction de moteurs thermiques en autori sant les hybrides rechargeables de façon très encadrée. Les études montrent que cette technologie n'a de bénéfice environnemental que si l'on utilise le mode électri que au moins 60 % du temps d'utilisation du véhicule. Ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. II faudrait donc rendre obligatoire la recharge systématique de la batterie. Des solutions techni ques existent comme le bridage du moteur ou l'interdiction de pénétrer dans les zones à faibles émissions si la recharge n'a pas été effectuée. Le VDA, le lobby allemand de l'automobile, semble être prêt à faire cette concession. Les hybri des rechargeables ne sont renta bles que sur le haut de gamme que les marques allemandes domi nent. Cette solution aurait le mé rite de dépasser le débat d'arrière garde sur l'avenir du moteur ther mique. Le véhicule électrique est le seul moyen crédible d'atteindre nos objectifs de réductions d'émission en 2050. Les construc teurs ont eu plus de quinze ans pour s'y préparer. II faut mainte nant accélérer, pas ralentir.
Question : Quel est le sujet de l'édito de Laurent Tessier ?
Réponse : L'édito porte sur la colère des patrons de l'industrie automobile, réunis à la Cité des Sciences et de l'Industrie à Paris par la plateforme automobile. Les dirigeants de Renault, Stellantis et Mercedes ont exprimé leur opposition à l'interdiction de la vente des voitures thermiques neuves dès 2035 et à l'arrivée du tout électrique.
Citation : "Rédacteur en chef de l'émission Pascal Proévo de 16h à 18h sur Europe 1, vous nous parlez ce matin de la colère des patrons de l'industrie automobile."
Question : Quel est le principal grief des constructeurs automobiles contre l'Europe ?
Réponse : Les constructeurs dénoncent un excès de réglementation et de normes imposées par l'Union Européenne. François Provost, directeur général de Renault, souligne que 107 nouvelles réglementations s'appliqueront d'ici 2030, dont certaines ne sont pas encore définies. Chez Renault, 25% du temps des ingénieurs est consacré à la conformité réglementaire.
Citation : "L'Europe doit changer le logiciel tandis que d'autres investissent, nous nous régulons et à défaut d'être le leader dans le domaine des ventes, l'Europe domine clairement le classement en matière de normes."
Question : Quel impact concret la réglementation a-t-elle eu sur les véhicules produits ?
Réponse : François Provost a donné l'exemple de la Renault Clio : entre la première génération et la Clio 6, le véhicule a pris 50% de poids supplémentaire lié à la réglementation et 40% de coûts supplémentaires également liés à la réglementation.
Citation : "Entre la première génération Clio et la Clio 6 que nous avons lancée, nous avons pris 50% de poids lié à la réglementation. 40% de coûts supplémentaires lié à la réglementation. Aujourd'hui, le logiciel européen ne fonctionne pas."
Question : Quelle est la situation de la production automobile française ?
Réponse : La production automobile française a connu un déclin dramatique. La France produisait plus de 3 millions de véhicules au début des années 90, et cette production a été quasiment divisée par 3. 40 000 emplois ont été perdus ces 5 dernières années.
Citation : "La France produisait plus de 3 millions de véhicules au début des années 90. Nous avons quasiment divisé par 3 notre production automobile. 40 000 emplois perdus ces 5 dernières années."
Question : L'objectif du 100% électrique en 2035 est-il réaliste selon les professionnels ?
Réponse : Non. Luc Châtel, président de la plateforme automobile, affirme clairement que l'objectif ne sera pas atteint. Le marché de l'électrique ne représente que 16% et les consommateurs ne sont pas au rendez-vous.
Citation : "La vérité, c'est que le 100% électrique en 2035, on n'y arrivera pas. On voit bien que le consommateur n'est pas au rendez-vous."
Question : Combien d'emplois sont menacés dans l'industrie automobile française ?
Réponse : 75 000 emplois sur les 350 000 qui restent dans l'industrie automobile en France sont menacés d'ici 2035. 40% des activités des sous-traitants et fournisseurs sont également menacés.
Citation : "75 000 de nos emplois sur les 350 000 qui restent dans l'industrie automobile en France sont menacés d'ici 2035. 40% des activités des sous-traitants, des fournisseurs sont aujourd'hui menacés."
Question : Comment les professionnels résument-ils la situation actuelle ?
Réponse : La situation est décrite comme surréaliste et hallucinante : l'Europe demande de produire des voitures que les clients n'achètent pas, tandis que la France taxe les dernières voitures que l'industrie arrive à vendre. Les constructeurs européens doivent franchir des obstacles réglementaires pendant que leurs concurrents, notamment chinois, peuvent se concentrer sur la production.
Citation : "L'Europe demande de produire des voitures que les clients n'achètent pas et la France taxe les dernières voitures qu'on arrive à vendre. C'est ça la situation de l'industrie automobile aujourd'hui. C'est surréaliste, hallucinant."
Question : Quelle réponse a été apportée par les autorités européennes ?
Réponse : Stéphane Séjourné, vice-président de la Commission européenne, présent lors de la réunion, a promis plus de flexibilité avec des annonces prévues pour le 10 décembre.
Citation : "Stéphane Séjourné, le vice-président de la Commission européenne présent hier, a promis plus de flexibilité. Des annonces le 10 décembre."
L'automobile, le crash-test de Bruxelles
Derniers réglages. Dans quelques semaines, la Commission européenne mettra sur la table son projet de révision des textes qui encadrent le secteur automobile en Europe. Un mo ment très, très attendu. À double titre. II s'agit d'une part de redéfinir les règles du jeu d'une industrie qui pèse 7% du PIB de l'Union européenne et traverse une crise existentielle. Et d'autre part, d'apporter, ou non, la preuve que l'Europe a bel et bien changé dans son approche de la norme. Le cas de l'automobile révélera si, à Bruxelles, les promesses de simplification, d'agenda de compétitivité et de pratique du rapport de force à l'égard des autres puissances, tout particulièrement la Chine, ne sont pas des paroles en l'air. II est plus que temps.
Deux questions sont au cœur du débat. La premiè re porte sur la fameuse échéance de 2035, date à la quelle sont censées être interdites les ventes de voi tures neuves thermiques en Europe. La seconde, ce sont les jalons qui balisent le chemin d'ici là, avec des amendes dites «Cafe», qui sanctionnent le niveau moyen des émissions de C02.
On connaît le contexte, peu propice à la paix du rnénage industrie-technocratie. Avec le «Green Deal » de 2019 et sa déclinaison pour l'automobile défmitivement adoptée en 2022, l'Unioneuropéen ne a commis rimpardonnable : imposer l'électrifi cation à un rythme accéléré, sans étude d'impact, sans concertation étroite avec les industriels, sans évaluation de la maîtrise européenne de la chaîne de valeur. Erreur de méthode. Timlng mortifère : l'in dustrie européenne de la voiture s'est vu sommée d'opérerune révolution séculalre au moment précis où elle était attaquée par la concturence chlnoise, où elle subissait une envolée de ses coûts (dévalua tion du yuan comprise, ils ont dérivé de 35 % par rapport à la Chine en clnq ans, précisait mardi le pa tron de Valeo, Christophe Périllat), et où le marché s'affaissait - les volumes ont décroché de 20 % par rapport à l'avant-Covid.
La Commission a changé de méthode. Le «dialo gue stratégique » avec les industriels s'est traduit par trois rendez-vous en janvier, en mars et en septem bre entre Ursula von der Leyen et les poids lourds de la filière. La Commission a donné des gages : des droits de douane sont appliqués aux véhicules élec triques chinois. Un plan d'action a été annoncé en mars par le commissaire Stéphane Séjourné, les amendes Cafe qui menaçaient le secteur dès 2025 ont été suspendues, et la clause de revoyure sur l'échéance 2035 a été avancée de 2026 à 2025. Ren dez-vous est donc pris pour la fin de cette année.
La filière a aussi fait ses devoirs. Longtemps divi sés selon leur nationalité ou selon qu'ils étaient constructeurs ou équipementiers, les acteurs de la filière automobile à l'échelle européenne ont réussi à accoucher fin août d'une position commune. Le départ de Carlos Tavares, voix dissidente, de la direction de Stellantis en juin a mis de l'huile dans les rouages du lobbying. Pression maximum désormais assurée.
Les grandes lignes de ce qu'il faut faire sont désor mais largement partagées. Priorité au pragmatisme : il faut changer le système d'amendes, constater l'irréalisme de la trajectoire pour les utilitaires, in troduire des « flexibilités » par rapport au couperet de 2035. «100 % électrique en 2035, on n'y arrivera pas», a martelé mardi Luc Chatel, le président de la Plateforme automobile (PFA).
«On n'ajamais été aussiprès d'un consensus euro péen », affirme un expert. Si près, mais encore si loin. La voiture électrique est devenue un objet de polari sation. L'avenir du secteur est éminemment politi que. Chacune des grandes nations automobiles de l'UE veut tenir la plume. L'été dernier, on attendait une position commune signée des trois «M», Macron, Merz, Meloni. Le chancelier allemand n'a pas attendu l'accalmie politique en France. Seul, puis avec la première ministre italienne le 6 octobre, il a adopté une position radicale et remis en cause l'échéance de 2035. Paris n'a pas aimé. «Merz nous a roulé dessus », explique un bon connaisseur du dossier.
L'exécutif français est allé chercher ime alliance à Madrid. La France et l'Espagne affirment le 22 octo bre qu'il ne saurait être question de remettre en cau se l'objectif «zéro émission» en 2035. L'industrie automobile se sent lâchée. « Nous n'avons pas com pris cette position orthogonale avec ceïïe de la filière», a dit mardi Luc Chatel. Le gouvernement a rétropé dalé. On l'a mal compris. Réaffirmer avec Madrid l'objectif de 2035 n'exclut pas d'exiger des flexibilités - d'ailleurs, c'est écrit. L'essentiel, c'est que Paris pousse son exigence : la préférence enropéenne. Les bonus à l'achat, les incitations au renouvellement des flottes, les subventions, les protections commer ciales, les autorisations d'investissements étrangers, les marchés publics, les calculs Cafe doivent profiter aux voitures qui embarquent des emplois, des tech nologies, de la valeur ajoutée sur le sol européen.
« C'était un coup pour faire plier sur le contenu européen les Allemands, qui n'en veulent pas. Mais ils se sontplantés : ils ont remis un coin entre lepolitique et les industriels au niveaufrançais à un moment critique de la négociation», déplore un expert. «Faussepolé mique», rétorque une autre source, qui la pense créée de toutes pièces par des constructeurs désireux de se fournir au prix le plus bas, quitte à se désolida riser de leurs fournisseurs.
Cette péripétie illustre combien la construction d'un consensus reste fragile. Tout le monde est d'ac cord pour dire que l'avenir est électrique - l'indus trie européenne y a déjà investi 300 milliards d'euros - avec des flexibilités. Jusqu'à accepter les hybrides après 2035? C'est àvoir, mais c'est crucial. Tout le monde est d'accord pour réinventer la petite voiture abordable. Mais faut-il créer une nouvelle catégorie, façon «kei-cars» japonaises? «Çapren dra des années», redoute un industriel. Geler les règles pour les petites autos pour les dix ans qui vien nent serait déjà valable. Faut-il intégrer les exigen ces de contenu européen aux flexibilités envisagées ? Idem : le sujet est tellement sensible à l'échelle com munautaire que cela risque de ralentir le processus de simplification. Mieux vaut en faire un enjeu paral lèle, plaide par exemple Stellantis. Et quel seuil re tiendra-t-on pour ce contenu européen, 60 %, 70 % de la valeur ajoutée, calculé pour chaque modèle ou par constructeur ?
Il ne reste que quelques semaines pour faire atter rir un projet. On mesurera à cette aune les chances de survie de l'automobile européenne. «La voiture est en train de changer le logiciel de l 'Europe », assure un bon connaisseur des arcanes communautaires. C'est d'une conversion à la politique industrielle, à la protection commerciale et à la préférence européen ne dont on parle. Les industriels et leurs clients attendent les preuves. ■
«Le 100 % électrique en 2035, on n'y arrivera pas»: l'industrie automobile française hausse le ton contre les objectifs de Bruxelles
Dans un rare moment de franc-parler, les patrons tricolores ont vertement critiqué les objectifs environnementaux de Bruxelles, aux conséquences potentiellement désastreuses pour les constructeurs.
Rare coup de gueule dans l'industrie automobile. Réunis ce mardi 4 novembre à La Cité des sciences à l'occasion de la quatrième édition de la Journée de la filière organisée par la Plateforme automobile (PFA), plusieurs patrons français ont haussé le ton contre la trajectoire de Bruxelles visant le 100 % électrique en 2035. Dès l'ouverture, le président de la PFA, Luc Chatel, a donné le ton. «Le en 2035, on n'y arrivera pas, c'est la réalité des chiffres», a-t-il martelé devant un millier de professionnels, rapportent Les Échos. Et pour cause : «Le consommateur n'est pas au rendez-vous.»
Jusqu'ici, ces critiques étaient restées feutrées. Mais les discussions en cours à Bruxelles sur la «clause de revoyure», qui pourraient conduire à de nouveau ajustements, ont libéré la parole. Les patrons de Renault et de Stellantis, récemment intronisés, se sont montrés particulièrement offensifs. «Quand d'autres investissent, nous régulons», a déploré François Provost, directeur général de Renault, rappelant que les ingénieurs du technocentre passaient désormais «un quart de leur temps à faire de la conformité réglementaire». «La régulation mise en place par Bruxelles n'est pas imparfaite, elle est mauvaise», a renchéri Antonio Filosa, patron de Stellantis, affichant sa pleine convergence avec «François».
«Neutralité technologique»
L'une des demandes phares des constructeurs : plus de flexibilité sur les objectifs CO₂ imposé par l'Europe. Tous réclament pour 2035 la «neutralité technologique», autrement dit la possibilité d'autres motorisations que le tout-électrique, même si elles ne sont pas zéro émission. François Provost plaide ainsi pour autoriser des hybrides rechargeables ou des prolongateurs d'autonomie, notamment pour les véhicules familiaux. Sur les utilitaires, la trajectoire européenne est «mauvaise, mauvaise, mauvaise», a dénoncé Antonio Filosa. «Il nous faut des mesures avant la fin de l'année», a insisté François Provost. «Si je n'ai pas de flexibilité, je devrai couper des centaines de milliers de voitures.»
Autre combat commun : instaurer une localisation minimale dans les composants des véhicules vendus en Europe. L'idée, portée notamment par les équipementiers automobiles comme Valeo et Forvia, cristallise toutefois quelques divergences sur les seuils : alors que le patron de Forvia Michel de Rosen n'imagine pas un taux de localisation minimum inférieur à 75 % - comme c'est le cas aux États-Unis - Renault plaide à Bruxelles pour un taux de 60 %. Le patron de Mercedes, Ola Källenius, en tant que président de l'ACEA, s'est pour sa part montré plus réservé, craignant un impact sur la compétitivité des marques européennes. Une position qui pourrait ouvrir la voie à un compromis franco-allemand, comme l'a laissé entendre le ministre de l'Économie, Roland Lescure, venu conclure les échanges.
Face à la crise, la filière automobile française se divise sur les remèdes
Les constructeurs et les équipementiers automobiles français veulent se faire entendre. Mardi 4 novembre, les entreprises du secteur et leurs lobbys se retrouvent à la Cité des sciences de La Vil lette, à Paris, pour une « journée de la filière», organisée par la Plate forme automobile (PFA). Les nouveaux patrons des deux grands groupes automobiles, Antonio Filosa, directeur général de Stellantis (Peugeot, Citroën, Opel, Fiat, Chrysler...) depuis le 28 mai, et François Provost, patron de Renault depuis le 30 juillet, y prendront la parole.
Ils donneront leur position sur les discussions en cours à Bruxel les autour de la date butoir de 2035, à partir de laquelle la vente de voitures à moteur thermique sera interdite. L'un comme l'autre attendent l'issue de ces débats pour finaliser leur plan stratégi que. Officiellement, la filière parle d'une seule voix. En réalité, les tensions sont fortes entre cons tructeurs et équipementiers.
La majorité des acteurs est d'ac cord sur un constat: «Malgré des centaines de milliards d'euros d'in vestissements déjà consentis en Eu rope par les industriels dans l'élec trification, le scénario d'un marché exclusivement électrique à l'hori zon 2035 apparaît aujourd'hui comme une hypothèse quin'estpas réaliste», écrit la PFA. Les voitures électriques sont chères (+ 24 % en tre 2020 et 2024, selon une étude de l'Institut mobilités en transi tion) et se heurtent à un pouvoir d'achat limité. Le marché tourne donc au ralenti. En France, il se vendait 2,2 millions de voitures particulières en 2019 et seulement 1,7 million en 2024, un volume qui ne s'améliorera pas en 2025.
Côté production, la France a dé gringolé plus vite que ses voisins. Le nombre de voitures particuliè res assemblées dans ses usines a baissé de 60 % (hors utilitaires), selon un rapport d'information du Sénat publié le 15 octobre. En 2024, la production de voitures s'est limitée à 1,34 million avec les véhicules utilitaires, 850 000 pour les seules voitures particulières. C'était plus de 3 millions au début des années 2000.
Productions délocalisées
Le passage à la voiture électrique ne peut pas être tenu pour seul responsable de cette dégringo lade. C'est aussi le choix des cons tructeurs automobiles français de délocaliser la production des voi tures les plus abordables pour ne garder dans les usines françaises que les modèles plus haut de gamme (3008, 5008, C5 Aircross) ou électriques (R4, R5, Scenic et Mégane) qui a abouti à ce résultat. Les trois modèles les plus vendus en France sont assemblés dans des pays à plus bas coûts : la Clio, à Bursa, en Turquie, la Dacia San dero à Pitesti, en Roumanie, et la Peugeot 208 à Saragosse, en Espagne, et à Kenitra, au Maroc. Les équipementiers ont suivi les cons tructeurs dans ces pays, y transfé rant une partie des emplois.
Après cette première vague de départs, une nouvelle menace ali mente les tensions dans la filière. Avec le passage à l'électrique, dans lequel la Chine a pris une avance considérable, les constructeurs français utilisent de plus en plus ringénierie chinoise pour conce voir leurs voitures. C'est le cas de la nouvelle Twingo, que Renault révélera le 6 novembre : 45 % des pièces ont été conçues dans le bu reau du groupe à Shanghaï.
Inquiète de cette dérive, la FIEV, fédération qui regroupe les équi pementiers automobiles, dont les grands du secteur comme Valeo, Forvia, OP Mobility ou même Bosch plaident pour que l'Europe adopte, dès la fin de l'année, une règle de contenu local minimum pour les voitures. Pour la définir, leur syndicat européen, le CLEPA, a commandé une étude au cabinet de conseil en stratégie Roland Ber ger. Celui-ci conclut qu'une voi ture devrait avoir entre 70 à 75 % de contenu local (hors batteries) pour bénéficier de subventions, d'avantages fiscaux et sociaux ou pour être éligible aux marchés pu blics. On en est actuellement à ce niveau (toujours hors batteries), mais pour le CLEPA, si rien n'est fait, « 60 % de la valeurdes compo sants d'une voiture thermique et yo % d'une voiture électrique à batteries sont susceptibles d'être transférés hors d'Europe ».
Leur demande est soutenue par le gouvernement français et défendue à Bruxelles par Stéphane Séjourné, vice-président de la Commission. Officiellement, elle l'est aussi par Renault, dont l'Etat détient 15 % du capital. Mais, dans un non-paper (noteinformelle) envoyé à la Commission, la marque au losange préconise une règle de contenu minimum local de 60 % de la valeur, mesurée à l'échelle des achats du constructeur, et non par modèle. Très en deçà de ce que demandent les équipementiers.
La filière est plus facilement tombée d'accord sur la nécessité d'assouplir les règles de transition vers l'électrique pour les utilitaires. Même les ONG environnementales ne semblent pas contre. Elles sont en revanche très opposées aux souplesses que les membres de la PFA, en résonance avec leurs homologues allemands, de mandent pour les véhicules hybrides rechargeables. Ces voitures, souvent peu rechargées, n'ont pas un bon bilan écologique. Lourdes et chères, elles sont surtout le point fort des constructeurs alle mands, et, déjà, des concurrents chinois comme BYD et Chery. ■
Automobile : « L'interdiction des moteurs thermiques n'est pas une transition mais une condamnation à mort »
La France persiste à défendre l'interdiction des moteurs thermiques en 2035. Un choix idéologique qui met en péril une filière stratégique, des millions d'emplois et notre souveraineté industrielle, alerte Edouard Bonnefils, directeur financier de Bonnefis Automobile.
Usine Ampere ElectriCity de Renault à Douai, le 5 mars 2025. La transition écologique impose des défis majeurs à la filière automobile. (FRANCOIS LO PRESTI/AFP)
L'industrie automobile française vit ses dernières années, si rien n'est fait. L'interdiction de la vente de voitures thermiques neuves en 2035, décidée à Bruxelles, n'est pas une étape de transition mais une condamnation à mort.
Le Sénat l'a écrit noir sur blanc dans son rapport du 15 octobre 2025, intitulé « Mesures d'urgence pour l'industrie automobile française », évoquant un « crash programmé » du secteur. Malgré cet avertissement unanime, la France et l'Espagne ont confirmé leur opposition à l'Allemagne qui plaidait pour un report de l'échéance.
Le rapport sénatorial dresse un constat alarmant : la production nationale reste inférieure de 40 % à son niveau de 2019, les ventes reculent et la part des voitures électriques a baissé en 2024 et 2025, retombant sous le quart des immatriculations. Les rapporteurs dénoncent une transition « menée à marche forcée » et « sans réelle étude d'impact ». Ils rappellent que la survie de la filière suppose d'assouplir les règles européennes et de reporter l'interdiction du thermique.
Une fiscalité devenue punitive
À cette stratégie s'ajoute une fiscalité dissuasive. Le malus écologique atteindra 100.000 euros en 2028 selon le projet de loi de finances 2026. Le malus au poids frappe indistinctement familles et artisans. La taxation des véhicules de société (ex-TVS) s'ajoute à des charges déjà lourdes tandis que l'avantage en nature sur les véhicules de fonction a été relevé, pénalisant salariés et entreprises.
Loin d'encourager une transition écologique, cet empilement fiscal pèse sur la compétitivité nationale et favorise les importations. Résultat : les ménages renoncent à acheter et les usines ferment. L'Espagne, elle, a conservé un système encore cohérent : pas de malus au poids, un barème écologique lisible, prévisible et proportionnel au prix du véhicule ne pouvant jamais dépasser 15 % de sa valeur.
Une souveraineté industrielle menacée
Le rapport sénatorial souligne que 80 % des batteries utilisées en Europe proviennent d'Asie. Cette dépendance énergétique et technologique fragilise la souveraineté industrielle et, au-delà, la sécurité nationale. Certaines compétences du secteur automobile servent également à la production de matériel de défense : leur disparition affaiblirait la base industrielle militaire française.
Les sénateurs pointent aussi la concurrence « déloyale » des pays à bas coûts. La Chine, qui produit près des deux tiers des véhicules électriques mondiaux, a quadruplé ses exportations entre 2021 et 2023 grâce à des prix de vente inférieurs d'environ 30 % à ceux des voitures européennes. Le rapport appelle à instaurer des droits de douane sur les véhicules et composants chinois, à renforcer les exigences de contenu local et à harmoniser les politiques de soutien à la demande au niveau européen.
Pour une transition réaliste et maîtrisée
La solution n'est pas d'interdire mais d'innover. Le rapport appelle à repousser la fin du thermique, à reconnaître la valeur des biocarburants et à favoriser l'émergence de petits véhicules abordables. Il préconise une pause réglementaire et un plan européen coordonné pour restaurer les marges, soutenir la recherche et investir massivement dans le logiciel et les batteries.
Le Sénat a tiré la sonnette d'alarme : si rien n'est fait, la France ne produira bientôt plus ses voitures.
L'industrie automobile française doit redevenir un pilier technologique, non un symbole de déclin. La neutralité carbone ne sera atteinte qu'en combinant toutes les solutions : thermique sobre, hybride, hydrogène et électrique selon les usages.
L'automobile n'est pas un ennemi du climat mais un levier de transition. Persister dans une logique punitive, c'est condamner 900.000 emplois, fragiliser nos territoires et renoncer à notre souveraineté. Le Sénat a tiré la sonnette d'alarme : si rien n'est fait, la France ne produira bientôt plus ses voitures. Il est temps de passer d'une écologie de l'interdiction à une écologie de l'intelligence.
Le dessous des tractations franco-allemandes contre le tout-électrique
Paris veut imposer des conditions, de contenu local notamment, à toute flexibilité de la trajectoire C02 de l'automobile.
Le ton est monté, ces dernières semaines, entre la filière automobile française et le gouvernement. Les deux sont parties prenantes d'une négociation vitale sur la trajectoire de décarbonation de l'automobile, au niveau européen. Le rendu de copie de la Commission européenne, fixé le 10 décembre, se rapprochant à grand pas, les discussions se tendent. « Habituellement, une négociation européenne aboutit à minuit moins une, et il est encore 23h », a temporisé mardi le ministre de l'Economie Roland Lescure, lors de la Journée de la filière automobile réunie par la Plateforme française automobile, à Paris.
Le secteur réclame à la Commis sion européenne des « flexibilités » afin de lisser la baisse de 55 % des émissions de C02 qui leur est impo sée pour 2030. Les constructeurs allemands réclament aussi l'autori sation de continuer à vendre notam ment des voitures hybrides rechar geables après 2035, ce à quoi s'est également rangée la filière fran çaise. Au contraire du gouverne ment allemand, l'exécutif français n'entend pas soutenir cette position à Bruxelles sans condition. Ce qui a crispé ces demiers temps la filière automobile française. Pour accepter ces assouplissements, Paris demande, en échange, de mettre en place un contenu local européen minimal par voiture. Ce concept était poussé initialement par le directeur général de Valeo, Christophe Périllat. « Oui à la flexibilité mais nonàla naiveté, a martelé le ministre de l'Economie Roland Lescure mardi. Ilfaut que ces flexibilités profl tent à la filière française et euro péenne, avec une préférence réelle pour le made in Europe. » La Com mission européenne, a assuré mardi son vice-président en charge de l'Industrie, Stéphane Séjoumé, tra vaille sur la question pour présenter une proposition pour le 10 décem bre. Concrètement, l'exécutif fran çais veut, pour sauver ses équipe mentiers d'une délocalisation massive des chaînes d'approvision nement vers la Chine, imposer qu'un certain pourcentage de la valeur ajoutée d'une voiture provienne d'Europe. Celui-ci s'élève, dans la position de début de négodation de l'exécutif, à 75 % de la valeur ajoutée.
Avantages réglementaires
II faudrait, de plus, qu'un certain nombre de composants critiques du véhicule soient fabriqués sur le Vieux Continent. II ne s'agirait pas d'interdire la vente de voitures non fabriquées en Europe. Plutôt d'accorder des avantages régle mentaires aux véhicules made in Europe. La France propose d'accor der des supercrédits C02 aux voitu res électriques répondant aux critè res de contenu local. Ces modèles pourraient compter pour 1,2 voi ture électrique, ce qui reviendrait mathématiquement à offrir un bonus de 10 grammes de C02 aux constructeurs jouant le jeu de la localisation de leur chaîne de valeur sur le Vieux Continent.
In flne, les constructeurs auraient ainsi moins besoin de vendre de voi tures électriques pour atteindre leurs objectifs de décarbonation. Autrement dit, ils pourraient vendre davantage de voitures thermiques s'ils produisent et sourcent en Europe. « C'est la seule manière de mettre en place une règle européenne de contenu local compatible avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce », indique une source au sein de l'exécutif français.
De premières flssures sont appa rues mardi entre les constructeurs et les équipementiers. Les premiers craignent de perdre un puissant levier de négodation avec leurs four nisseurs s'ils doivent restreindre à l'Europe leur approvisionnement. « Je suis favorable au contenu local pour rééquilibrer la concurrence mondiale, a approuvé du bout des lèvres François Provost, le nouveau patron de Renault, devant la filière mardi. Mais le dispositif doit êtrepra tique. Ce contenu local minimal devra être calculé sur la moyenne de l'ensemble desventes, pour maintenir une pression concurrentielle sur nos fournisseurs. II nefautpas que cela débouche sur une réglementation compliquée inapplicable. »
Dissensions dans la filière
Et encore, Renault apparaît sur ce dossier comme le plus positif des constructeurs. « Ce dispositif doit être étudié dans le détail, a prévenu mardi le patron de Stellantis, Anto nio Filosa. II nefaudraitpas que cela nuise à la compétitivité de l'automo bile européenne. Surtout, la révision urgentissime des règles C02 euro péennes ne doit pasy être condition née. » Quant à Ola Kàllenius, patron de Mercedes et président de l'Asso ciation européen des constructeurs (Acea), le contenu local « offrepeut être un certain répit à court terme [contre la concurrence mondiale], mais cela débouche, à long terme, sur des pertes de compétitivité ».
Les équipementiers, eux, défen dent bec et ongles le projet poussé par la France. « Le contenu local est un impératif pour réindustrialiser, il doit êtreflxéà 75 %,arépondu mardi Michel de Rosen, président de For via. Cen'estpas unconceptfumeux, il est déjà appliqué aux Etats-Unis et en Chine. »Les Etats-Unis ontplacé une exigence de 75 % de valeur ajoutée provenant du Mexique, du Canada ou des Etats-Unis et ils calculent ce pourcentage par véhicule.
La France championne de la désindustrialisation… avec la Russie
La France est devenue un petit pays automobile, martèle Luc Chatel. « Elle a perdu un quart de son marché par rapport à l’avant Covid, un million de véhicules en production et 40 000 emplois », résume le président de la PFA (Plateforme automobile française). Et ce, en attendant « 75 000 » autres emplois menacés dans les dix années à venir. Ce mardi, lors de la Journée de la filière automobile porte de la Villette à Paris, le ton général était alarmiste.
« Le problème, c’est qu’en Europe nous avons créé une réglementation qui ne reflète absolument pas l’orientation du marché, et c’est la raison pour laquelle nous avons perdu trois millions de véhicules et énormément d’emplois depuis la pandémie de Covid » explique Antonio Filosa. Le directeur général de Stellantis en appelle du coup à « changer radicalement et de toute urgence la réglementation (ndlr : européenne sur l’électrification) ».
« Les immatriculations ont stagné à 13 millions de véhicules en Europe, contre 16 avant le Covid, quand les États-Unis sont déjà revenus à 16 millions », déplore de son côté François Provost ce mardi. Et le nouveau directeur général de Renault d’ajouter : « le risque de décrochage est certain ». Il n’hésite carrément pas à évoquer une réduction de production pour ses véhicules utilitaires fin 2025 ou début 2026, si Bruxelles n’introduit pas de la flexibilité sur les objectifs. « C’est aujourd’hui que nous préparons nos plans de productions pour 2026. (…) Sans annonce avant la fin de l’année, nous organiserons le déclin de l’industrie automobile européenne », lâche le dirigeant. Pas de chance : ces modèles sont justement produits en France.
Production en Europe : -19%
Selon la dernière compilation de chiffres publiée par l’OICA (Organisation internationale des constructeurs automobiles), la production européenne a baissé de 19% par rapport à l’avant-Covid. Mais, dans ce contexte la France fait deux fois pire. Elle est même le pays dont la production auto a le plus chuté ces cinq dernières années en Europe. Mais aussi dans le monde, en compagnie de la Russie en guerre et frappée par les sanctions internationales. Triste record.
La production automobile a plongé dans l’Hexagone de 38% (à 1 357 700 véhicules particuliers et utilitaires légers) entre 2019 et 2024. La France revient à son score du début des années 1960. Avec « un taux de saturation des capacités de production de 60% seulement », selon la PFA. La France fait pire que l’Italie (-35% à 591 000 unités), le Royaume-Uni (-34% à 905 200), l’Espagne (-16% à 2,37 millions) ou l’Allemagne (-13% à 4,07 millions).
France à la onzième place
La Slovaquie reculait pour sa part de 10% seulement (à 0,99 million), tandis que la République tchèque progressait de 2% (à 1,46 million), la Roumanie de 14% (à 560 000). Autour du Vieux continent, la Turquie où sont présents notamment Renault et Stellantis résiste (-7%) et ses volumes de production (1,36 million) sont désormais très proches de ceux de la France. Fief également de Renault (Dacia) et de Stellantis, le Maroc a vu sa production croître de 38% en cinq ans (à 560 000 unités).
Hors d’Europe et du pourtour méditerranéen, la fabrication de véhicules aura baissé de 15% au Japon, de 3% à peine aux États-Unis, mais progressé de 4,5% en Corée, 22% en Chine, 33% en Inde. L’Hexagone est désormais le onzième pays automobile du monde, alors qu’il était le neuvième encore en 2019. Il représente 7,8% de la production auto en Europe seulement (10% avant le Covid) et 1,4% à peine dans le monde (2,4% en 2019, 5% en 2005) !
Emplois divisés par trois
La France compte encore deux constructeurs automobiles. Stellantis, groupe franco-italo-américain, est certes aujourd’hui dirigé par des Italiens. Mais le nouveau directeur général Antonio Filosa a rencontré lundi, au siège français de Poissy (Yvelines), les syndicats pour tenter de les rassurer sur l’avenir du consortium en France.
Stellantis en France compte douze sites industriels et y emploie encore 39 000 salariés. Mais PSA (devenu Stellantis en 2021) comptait encore 62 000 personnes en France en 2019 et… 126 000 il y a vingt ans ! Soit des effectifs divisés par trois. Renaut dispose pour sa part de neuf usines en France et emploie 38 700 personnes, mais c’est 10 000 de moins qu’avant le Covid et quasiment moitié moins qu’en 2005.
La chute des marchés en Europe depuis le Covid explique en partie la baisse de la production et des effectifs tricolores. Il n’en reste pas moins que la cause principale de cette hémorragie réside dans les délocalisations. Stellantis et Renault sont spécialistes des véhicules petits ou compacts, très sensibles aux coûts. Cette spécialisation historique vient de la structuration même du marché auto tricolore, où les petits modèles ont toujours été favorisés par la fiscalité, alors que les modèles supérieurs étaient fortement pénalisés. Les cinq voitures les plus vendues en France entre janvier et octobre 2025 sont d’ailleurs des « petites » et proviennent en conséquence d’usines étrangères : Turquie pour la Renault Clio, Espagne et Maroc pour la Peugeot 208, Maroc également pour la Dacia Sandero, Espagne pour la 2008, Slovaquie pour la Citroën C3.
40% des sous-traitants menacés
Le problème des usines tricolores est connu. Le coût horaire de la main-d’œuvre salariée dans l’industrie frise en France les 47 euros, selon Rexecode. Contre 27,6 en Espagne, 18,5 en Slovaquie, à peine plus de 11 en Roumanie, 5 à 6 au Maroc. Sur la fabrication d’un véhicule, « il y a 15 à 20% d’écart de coûts total entre la France et l’Espagne », constate Luc Chatel.
La délocalisation des constructeurs a entraîné celle des équipementiers. Une pièce produite en France pour un véhicule vendu en France coûte il est vrai « 7 à 17 % plus cher que la même fabriquée en Europe de l’Est, 20 à 30 % de plus qu’en Inde, en Turquie », explique le président de la Fiev (Fédération des équipementiers auto français) Jean-Louis Pech.
Du coup, « 40% des sous-traitants sont menacés », pointe Luc Chatel. Conséquence de cette dramatique désindustrialisation, entamée dans la deuxième moitié des années 2000 : la filière auto française affiche un déficit commercial cumulé abyssal de 125 milliards d’euros entre 2019 et le premier semestre 2025. Et ça ne risque pas vraiment de s’arranger, devant un facteur aggravant : le déferlement chinois en Europe. « Les ventes de voitures chinoises ont établi en septembre 2025 un nouveau record en Europe avec une part de marché de 7,6% », avertit en effet Jamel Taganza, du cabinet Inovev. # Le PDG Stellantis, Antonio Filosa, le 4 novembre à Paris.











