AUTOMOBILE Les patrons des deux constructeurs, frères ennemis, ont décidé de mener ensemble la charge pour assouplir les règles CO2 et sur les petites voitures en Europe.
L'adversité rapproche les frères ennemis. Face à une conjoncture difficile, Stellantis et Renault ont décidé de mettre leur rivalité de côté pour tenter de peser ensemble. Le moment est décisif. La Commission européenne a ouvert la porte, dans le cadre d'un dialogue stratégique, à un plan de soutien à l'industrie automobile. À l'occasion d'une interview croisée dans « Le Figaro », le président de Stellantis, John Elkann, et le directeur général de Renault, Luca de Meo, scellent une alliance italo-française face aux très soudés constructeurs allemands. Ce duo pèse 30 % du marché en Europe. Une telle alliance était impensable sous l'ère de Carlos Tavares. L'ex-patron de Stellantis, passé par le groupe au losange, ne manquait pas une occasion, depuis un entretien commun avec Luca de Meo en 2022 dans « Le Parisien », de tacler son concurrent français.
« Le marché automobile européen est en chute depuis maintenant cinq ans », déclare John Elkann. Le président de Stellantis brandit même une sinistre perspective : « au rythme actuel, le marché pourrait être plus que divisé par deux » d'ici à 2035. À ce stade, les prévisionnistes tablent pourtant moins sur un tel scénario catastrophe que sur une stabilisation de la demande à un niveau historiquement bas, amputé de 4 millions de véhicules par rapport à 2019. Pour les deux dirigeants, le coupable n'est autre qu'une trop lourde réglementation européenne. Celle-ci impose de plus en plus de coûteux équipements de sécurité passive et active, comme les aides à la conduite ou des caméras pour déceler les débuts d'éventuelles somnolences du conducteur.
Stratégie délibérée
Une inflation largement poussée par les constructeurs et équipementiers allemands, versés dans le haut de gamme. Renault et Stellantis en ont fait les frais, arrêtant tous deux dès 2021 la production de leur Twingo et de leur Peugeot 108 pour cette raison. Sur les modèles restants, c'est la valse des étiquettes. « Entre 2015 et 2030, le coût d'une Clio aura augmenté de 40 % », chiffre Luca de Meo. Cette augmentation est à 92,5 % attribuable à la réglementation. Les constructeurs le disent moins, mais la hausse des prix des voitures généralisées en Europe depuis 2020 s'explique aussi par une stratégie délibérée de leur part. Les tarifs des voitures neuves ont bondi en moyenne de +40 % durant l'après-Covid, ce qui ne s'explique qu'en partie par l'inflation des matières premières. Cette politique tarifaire, très payante à court terme, n'a été rendue possible que par les pénuries de puces créant un manque de voitures neuves.
Le modèle des voitures de poche japonaises
Aujourd'hui, toutefois, les clients ne suivent plus. Pour sauvegarder les ventes et les marges sur les modèles d'entrée de gamme, il faut donc alléger la contrainte réglementaire à travers la création d'une nouvelle catégorie de véhicules, sur le modèle des voitures de poche japonaises, les « kei cars », prônent Renault comme Stellantis. Une demande historique de Luca de Meo, qui a finalement réussi à convaincre Stellantis que ce combat mérite d'être mené. Il est un sujet sur lequel les deux patrons s'accordent avec leurs concurrents allemands : remettre en cause la fin des ventes de voitures neuves thermiques à partir de 2035. Il faut ouvrir la possibilité, comme en Chine, de vendre par exemple des voitures électriques à prolongateur d'autonomie à essence, défendent Luca de Meo comme John Elkann. Leur crainte sous-jacente ? Que la voiture 100 % électrique, sur laquelle ils réalisent pour l'instant de moindres marges que sur le thermique, continue de rebuter le client durant la décennie qui vient. Le marché fondrait alors encore plus. « La décarbonation peut vraiment accélérer en renouvelant le parc avec des technologies variées, innovantes, compétitives, revitalisant la demande », prône John Elkann.