Les immatriculations de voitures neuves en France sont en baisse de près de 6% en rythme annuel. Sur les quatre premiers mois de l'année, le marché enregistre une baisse de 7,28% sur un an.
franceinfo : On est sur une tendance de plusieurs mois. Est-ce qu'il y a une crise du marché automobile français ?
Luc Chatel : L'automobile s'est inscrite dans une crise structurelle qui est liée à plusieurs phénomènes. Qui est liée d'abord à la conjoncture économique. Vous savez, acheter une automobile, c'est un acte très impliquant. Et donc, quand la conjoncture est mauvaise, vous avez aujourd'hui une croissance qui est proche de zéro, vous avez un niveau d'épargne des ménages qui n'a jamais été aussi élevé et donc une consommation anormalement basse. Et donc on peut toujours reporter sa décision d'achat d'une automobile. Donc ça, c'est un phénomène.
Et puis vous avez un deuxième phénomène qui est lié aux modèles qui sont aujourd'hui proposés sur le marché et à cette transition énergétique où il y a aujourd'hui une complexité de marché qui fait que le consommateur est un peu perdu. C’est-à-dire, il ne sait pas très bien quel type de motorisation il peut acheter. Est-ce qu'il passe tout de suite à l'électrique, mais est-ce qu'il va avoir les bornes de recharge d'autonomie, tout ce qui va avec ?
Sachant qu'il y a des changements aussi sur les bonus-malus ?
Exactement, est-ce qu'il va être accompagné dans son acte d'achat sachant qu'on a changé quinze fois la règle des bonus-malus en moins de cinq ans et que même des voitures qui bénéficiaient d'un bonus il y a encore deux ans sont aujourd'hui victimes d'un malus. Donc, vous avez l'addition de ces deux phénomènes qui sont à la fois un contexte économique général et une situation de l'automobile qui fait qu'il y a un attentisme des consommateurs et que le marché n'est pas bon.
"Les perspectives de commande ne sont pas bonnes puisqu'on était à -13% de prise de commande à la fin de ce premier trimestre par rapport à l'année dernière. Donc je ne suis pas certain que ça s'améliore dans les prochains mois."
Stellantis, comme d'autres groupes automobiles, a suspendu ses prévisions financières pour 2025 en raison des incertitudes liées aux tarifs douaniers américains. C'est le grand flou pour votre secteur ?
C'est le grand flou. Par contre, ce qu'on sait, c'est qu'il y a des décisions à prendre. Il y a une décarbonation à effectuer, il y a des investissements massifs à mener. Et puis il y a une compétition mondiale qui n'a jamais été aussi élevée.
Il y a des décisions à prendre, mais de la part de qui, de l'Europe, de la France ?
Des décisions à prendre de la part de l'Union européenne qui, à notre sens, a pris le sujet par le mauvais bout puisqu'elle a réglementé, plutôt que d'avoir une révision stratégique. Et ce n'est pas moi qui le dis, c'est Mario Draghi, l'ancien commissaire européen qui a émis son rapport sur la compétitivité de l'économie européenne. Et donc il est urgent d'agir et d'avoir une vraie vision stratégique pour accompagner cette transition.
Comment on accompagne cette transition qui est absolument massive ? Les constructeurs, les équipementiers et toute la sous-traitance ont fait des efforts et font des efforts aujourd'hui absolument considérables.
Mais là, concrètement, on ne va pas y arriver pour 2035 ?
Disons que si vous regardez les trajectoires que nous avons établies pour arriver à 100% de véhicules thermiques en 2035, il faudrait cette année que la part de marché des véhicules 100% électrique en Europe, soit à 22%, elle est aujourd'hui à 15%. Donc, on voit bien qu'il y a un écart très significatif entre ce qui est nécessaire et la réalité. Pourquoi ? Parce qu'on a un peu oublié le consommateur et que les véhicules électriques, au début ç'a bien démarré, et maintenant le consommateur trouve que c'est trop cher, il craint qu'il n'ait pas assez de bornes. Et puis vous avez un contexte économique qui fait qu'il reporte sa décision d'achat.
Vous écriviez dans une tribune il y a quelques semaines dans Le Figaro : "La disparition de l'industrie automobile européenne n'est plus une simple hypothèse"(Nouvelle fenêtre). Est-ce qu'on peut encore la sauver ?
Bien sûr. Regardez la France, elle produisait 3 millions de véhicules il y a 25 ans. On est 1,3 million de véhicules.
"La Chine produit aujourd'hui 20 fois plus de véhicules que la France qui a inventé l'automobile à la fin du XIXe siècle. Je reviens de Shanghaï, qui est maintenant le premier salon mondial de l'automobile, ce qui crève l'écran, c'est la rapidité d'action. Les Chinois vont très vite."
Est-ce que le cœur de l'automobile aujourd'hui, il est en Chine ?
Il l'est dans les faits, puisque la Chine est devenue le premier marché mondial avec plus de 31 millions de véhicules. C'est plus d'un tiers du marché mondial, c'est deux fois et demie le marché américain, c'est trois fois le marché européen. Donc c'est devenu le premier pôle, mais c'est aussi le premier pays producteur de véhicules. Donc de facto, c'est là où ça se passe. Ensuite, ce qui est frappant, c'est le concentré de technologie d'innovation à tous les niveaux. J'ai visité des usines de batteries où techniquement, aujourd'hui, on a la solution pour recharger pour 400 kilomètres une batterie en moins de dix minutes.
Donc tous les freins à l'achat pour les véhicules électriques, dire qu'il faut une demi-heure où je vais tomber en rade, etc. Tout ça, ça va rapidement être derrière nous et les Chinois sont très en avance. En l'occurrence, CATL est le leader mondial de production des batteries. Et je vous disais la rapidité, les Chinois sont capables de mettre sur le marché un véhicule en moins de 18 mois. Là où les constructeurs européens, la norme est plutôt autour de deux ans et demi, trois ans, même si, s'ils font beaucoup de progrès et si on est en train de réduire ce délai.
Savez-vous à quel point les constructeurs, les équipementiers français sont affectés par les droits de douane américains, est-ce mesurable ? Pour l'instant, on est à une surtaxe de 25%.
On voit déjà la prolongation de ces mauvais chiffres de marché, que ce soit au niveau européen et en France en particulier. Et c'est clair que d'entendre matin, midi et soir que les prix des voitures vont augmenter... Puisque, qu'est-ce que c'est que les droits de douane si ce n'est de faire payer par le consommateur final une barrière ? Donc à la fin, ce seront des voitures qui seront plus chères et le consommateur paiera. Donc tout ça c'est mauvais pour la consommation. Cette incertitude est mauvaise pour la consommation. Donc oui, il y a déjà des conséquences de cela, alors que nous sommes au tout début de cette guerre commerciale.