Terres rares : comment l'Europe espère s'extirper du piège de sa dépendance à la Chine

10 juin 2025


Face aux restrictions chinoises sur les terres rares, l'Europe tente de s'organiser. La Commission européenne soutient des projets clés, dont une nouvelle ligne de production à La Rochelle. Objectif : sécuriser les approvisionnements et réduire la dépendance à Pékin. Un défi industriel complexe qui prendra du temps.

Spectateur dans le conflit frontal qui oppose Pékin et Washington, l'Europe pouvait espérer être épargnée par la guerre des métaux rares qui oppose les Etats-Unis à la Chine. Il n'en est rien : les restrictions à l'export décidées début avril par la Chine, en riposte à la guerre commerciale de Trump, s'appliquent également à l'Europe, qui est tout aussi dépendante que les Etats-Unis des terres rares chinoises.

Immédiatement après le « Liberation Day » et la hausse des droits de douane sur les biens chinois importés aux Etats-Unis, Pékin a ajouté sept terres rares à sa liste des métaux déjà soumis à un contrôle des exportations, afin notamment de s'assurer qu'ils ne soient pas utilisés à des fins militaires, rallongeant ainsi les délais de livraison.

Lors des discussions qui se sont ouvertes à Londres entre les deux pays, les terres rares seront au coeur des pourparlers. La Chine a indiqué samedi avoir approuvé certaines demandes d'exportation de terres rares, sans préciser quels pays ou quels secteurs étaient concernés.

Dysprosium, praséodyme, néodyme… ces 17 petits métaux sont stratégiques, car indispensables dans de nombreuses technologies (écrans de smartphones), mais aussi dans la défense (radars et systèmes de guidage de missiles) et les énergies bas carbone (éoliennes ou moteurs de voitures électriques).

Contrôle des flux

La Chine contrôle pleinement les flux : elle extrait environ 60 % du minerai et raffine entre 90 % et 100 % selon les terres rares. Bien que les Etats-Unis aient rouvert la mine de Mountain Pass en Californie, Washington doit encore envoyer son minerai en Chine pour le faire raffiner.

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L'Europe, elle aussi, est très dépendante de l'extérieur, comme en témoignent les chiffres de l'Office allemand des statistiques Destatis. L'Allemagne a importé de la Chine 65,5 % de ses terres rares en 2024. Le reste des volumes provient d'Autriche et d'Estonie, où des minerais sont raffinés. « Cependant, les terres rares ne sont transformées qu'à un stade avancé dans ces pays. Les exportations de l'Autriche pourraient n'être que de simples réexportations, ce qui signifie que la dépendance réelle aux importations chinoises pourrait être encore plus importante », mettent en garde les analystes de Commerzbank.

Dans son dernier rapport sur les métaux critiques, l'Agence internationale de l'énergie a également tiré la sonnette d'alarme sur la trop grande concentration de la production de métaux, en particulier envers la Chine. L'agence avait appelé ses membres à diversifier leurs chaînes d'approvisionnement de toute urgence. Sur 20 métaux analysés, la Chine est le producteur de produits raffinés pour 19 d'entre eux.

Critical Raw Material Act

Pour s'extirper de ce piège, l'Europe s'est dotée d'outils visant à sécuriser ses approvisionnements. En 2023, l'Union européenne a adopté un texte de loi sur les matériaux critiques (Critical Raw Material Act). Selon ce dernier, d'ici à 2030, 10 % de la consommation des métaux doit être couverte par des métaux extraits en Europe, 40 % par des métaux transformés sur le continent et 25 % issus du recyclage. En outre, d'ici à 2030, l'Europe ne devra pas dépendre à plus de 65 % d'un seul fournisseur.

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Compte tenu des tensions grandissantes, Bruxelles a récemment dévoilé une liste de 47 projets stratégiques, qui bénéficieront d'un soutien financier renforcé et de facilités administratives pour accélérer l'obtention des autorisations.

Dans le cas des terres rares, le plus important gisement d'Europe, découvert à Kiruna en Suède, a été intégré à cette liste. Deux projets de raffinerie en France - l'un à Lacq, dans le Sud-Ouest, et l'autre à La Rochelle, porté par Solvay - ont également reçu le soutien de la Commission.

Usine de raffinage à La Rochelle

Le chimiste belge a ouvert début avril une ligne de séparation de terres rares destinées aux aimants permanents, que l'on retrouve dans les moteurs électriques. La Rochelle est d'ailleurs un site historique, puisque l'usine fut, jusqu'aux années 1990, le premier producteur mondial de terres rares lorsqu'elle était dans le giron de Rhône-Poulenc.

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Mais les difficultés actuelles d'approvisionnement en matières premières ont conduit l'exécutif européen à accélérer encore sa politique de sécurisation des approvisionnements. L'Union européenne a retenu 13 nouveaux projets, en dehors de l'Union, concernant d'autres métaux que les terres rares.

Il s'agit, entre autres, d'une mine de tungstène - métal incontournable pour renforcer les aciers dans l'aéronautique et le spatial - au Royaume-Uni, et de graphite en Ukraine. Cette matière noire est présente dans toutes les anodes de batteries de voitures électriques.

Des approvisionnements en Ukraine, au Royaume-Uni

« Cette diversification est importante pour permettre à l'Union européenne de rester indépendante lors des crises géopolitiques et diplomatiques futures », a insisté le vice-président de la Commission, Stéphane Séjourné, devant la presse, la semaine dernière.

Washington a toutefois une longueur d'avance avec l'Ukraine. Il y a un mois, Donald Trump a scellé un large accord avec le président Zelensky afin d'obtenir un accès aux ressources du sous-sol ukrainien en échange d'une aide. Ce partenariat de Bruxelles avec Kiev « n'empêche pas d'autres projets » à l'avenir. « J'espère que ce sera le premier d'une longue série », a néanmoins estimé Stéphane Séjourné.

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Ces projets sont nécessaires, mais ne constitueront pas une solution à court terme. Il s'écoule plusieurs années, dix-sept ans en moyenne pour le cuivre, entre la découverte d'un gisement et les premiers volumes de production. Le raffinage est une étape complexe qui nécessite un savoir-faire particulier. Sans oublier les conséquences environnementales liées à ces activités. Si la production de terres rares a été déléguée à la Chine, c'est en raison de l'opposition grandissante des populations européennes à la pollution liée à ces activités.

Les prix flambent

La Chine utilise les métaux comme levier de négociations avec ses partenaires. Des restrictions similaires ont visé le gallium et le germanium en réponse à l'embargo américain sur les semi-conducteurs de la Silicon Valley. Une fois la mesure entrée en vigueur, il a fallu attendre près de deux mois avant que les premières autorisations d'exportations soient accordées. Même chose pour le bismuth.

L'arme des métaux est à double tranchant. En fermant le robinet, les groupes miniers sont incités à investir, non seulement pour répondre à la demande, mais surtout parce que les prix augmentent fortement. Le prix des terres rares est relativement opaque car il n'existe pas encore de marché à terme comme pour le cuivre. Le bismuth, qui n'est pas une terre rare, a récemment flambé de 500 % après que la Chine a instauré des restrictions sur les échanges.